mardi 24 mai 2011

la cigarette

La cigarette




Oui, ce monde est bien plat ; quand à l'autre , sornettes.

Moi , je vais résigné , sans espoir , à mon sort,

Et pour tuer le temps, en attendant la mort,

Je fume au nez des dieux de fines cigarettes,

Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes,

Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord,

Me plonge en une extase infinie et m'endort

Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j'entre au paradis , fleuri de rêves clairs

Ou l'on voit se mêler en valses fantastiques

Des éléphants en rut à des choeurs de moustiques.

Et puis , quand je m'éveille en songeant à mes vers,

Je contemple, le coeur plein d'une doue joie ,

Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.




Jules Laforgue, les sanglots de la terre, 1880

dimanche 1 mai 2011